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Les
témoignages les plus septentrionaux de
l’extension du Solutréen
La vallée de
l’Erve fait l’objet de recherches
préhistoriques pluridisciplinaires depuis
1999, menées par l’UMR 6566 du CNRS
(Rennes). Les grottes qui caractérisent le
petit karst qu’elle traverse ont effectivement
été occupées par les groupes
de chasseurs-cueilleurs au moins depuis le
Paléolithique moyen et recèlent des
vestiges rarement mis au jour sur le massif
armoricain. Parfaitement conservées
malgré les nombreuses fouilles anciennes qui
ont se sont déroulées sur le site,
les couches archéologiques mises au jour
témoignent des environnements qu’ont connus
ces groupes humains, de leurs activités et
savoir-faire ou encore de leur préoccupation
symbolique.
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Les
activités de taille et de boucherie dans la
grotte Rochefort
La couche
préhistorique la plus récente
fouillée dans la grotte Rochefort est une
petite occupation qui a permis de restituer
l’environnement faunique et la panoplie de chasse
d’un groupe humain ayant fréquenté la
grotte à la fin de la dernière
glaciation, vers – 11000 ans. Renne, cheval, petits
carnivores (renard polaire, loup…), mais aussi
rongeurs et poissons étaient aux menus de
ces derniers chasseurs-cueilleurs, dont on a
également retrouvé l’outillage en
silex. Depuis 2006, ce sont les niveaux du
Solutréen qui font l’objet des recherches
dans la grotte Rochefort, pour lesquels les
premiers résultats sont tout à fait
encourageants.
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grotte Rochefort, fouille en
cours du niveau solutréen
(cliché Rozenn Colleter)
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Grotte Rochefort : plaquette
de calcaire gréseux gravée
d'une tête de bouquetin, couche
solutréenne (cliché
Hervé Paitier)
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Le
Solutréen semble être la culture
matérielle la mieux
représentée à ce jour dans les
couches paléolithiques de la grotte, avec
des datations 14C plaçant les occupations
entre 19320 ? 90 et 20090 ? 100 BP. Les niveaux en
cours de fouille indiquent que les hommes ont
pratiqué des activités de taille et
de boucherie dans la grotte elle-même. Outre
l’outillage, on note ainsi la présence de
nombreux éclats de façonnage de
feuilles de lauriers, d’esquilles et pièces
osseuses fragmentées ou présentant
des traces de fracturation standardisées et
des stries liées à la découpe
ou encore des fragments d’os brûlés.
Un
remarquable bouquetin
Eléments de
parure et art mobilier sont également
présents, comprenant notamment des os
incisés et des plaquettes gravées,
dont une remarquable représentation d’un
bouquetin. Même si aucun aménagement
de sols ni aucune structure (de type foyer par
exemple) ne viennent pour l’instant confirmer
l’existence de véritables niveaux d’habitat,
les éléments mis au jour
accréditent ainsi la pratique
d’activités domestiques et artistiques dans
la cavité. Le corpus faunique (y compris les
micromammifères), pour lequel il faut
souligner la remarquable qualité de
conservation des vestiges osseux, est varié.
Il est cependant dominé par le renne et le
cheval et témoigne dans son ensemble d’un
environnement ouvert, froid et sec.
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Un niveau du
Pléistocène moyen à la base du
gisement ?
Devant les
entrées de la grotte de la Chèvre, un
vaste cône d’éboulis scelle le pied de
falaise. Ce sont ces dépôts qui
recèlent les niveaux attribués au
Pléistocène supérieur,
fouillés partiellement par l’abbé
Maillard (1876) et Raoul Daniel (1932), fournissant
les premiers éléments d’ordre
stratigraphique sur ce site. Celui-ci demeure des
plus intéressants car les données
stratigraphiques, confirmées pour partie par
les sondages archéologiques
réalisés en 1999-2000, montrent que
la quasi-totalité de la séquence du
Paléolithique supérieur est
représentée. Les cultures
magdalénienne, solutréenne,
gravettienne et aurignacienne mais
également des occupations attribuables au
Paléolithique moyen sont ainsi reconnues
à partir d’éléments mobiliers
caractéristiques. Plus anciens encore, des
fossiles d’une faune du Pléistocène
moyen, c’est-à-dire au-delà de 150
000 ans, ont été récemment
découverts sur le site. Il s’agit d’un
fragment de canine d’Homotherium latidens, le
fameux « tigre à dents de
sabre », et d’une molaire de Dama
clactoniana (daim de Clacton). Ces
découvertes ont été
confirmées par la mise au jour en 2007 de
deux dents de chevaux, l’une appartenant à
Equus altidens et la seconde attribuable à
Equus sussenbornensis. La présence de ces fossiles
dans le remanié des fouilles du XIXe
siècle de la grotte de la Chèvre
indique donc qu’il existe peut-être encore un
niveau du Pléistocène moyen à
la base du gisement, non identifié à
ce jour. Nous ignorons cependant s’ils
témoignent de l’existence d’un simple
repaire de carnivore où bien s’ils
proviennent d’une occupation de la grotte par des
Anté-néandertaliens.
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Grotte Rochefort : Pointe de
type "feuille de saule" en grès
lustré (cliché Miguel
Biard)
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Outre
l’étude des séquences du
Pléistocène supérieur, la recherche
d’un niveau attribuable au Pléistocène moyen
sera donc un fil conducteur à ne pas négliger
lors des campagnes de fouilles ultérieures sur ce
site. L’opportunité tout à fait exceptionnelle
de pouvoir mettre au jour des vestiges humains, lithiques et
osseux de cette période pour l’Ouest de la France
serait, de fait, unique.
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Grotte Rochefort : vestiges
osseux de deux pattes d'ours brun (Ursus
arctos), couche solutréenne
(cliché Pierre-Elie
Moullé)
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Un gisement
au potentiel prometteur
Avec les
occupations de la vallée de l’Erve, nous
avons pratiquement affaire aux témoignages
les plus septentrionaux de l’extension du
Solutréen. Outre sa géographie,
l’originalité et la qualité du site
tiennent dans la nature des matériaux
lithiques exploités, la conservation des
restes osseux, exceptionnelle dans le Massif
armoricain, et la présence d’art mobilier.
La perspective d’obtenir de nouvelles informations
sur cette culture matérielle,
d’établir un corpus faunique inédit
pour le Pléistocène supérieur
de l’Ouest de la France, comme de bâtir une
séquence chronostratigraphique fiable
du Paléolithique supérieur de cette
région, ne peuvent donc qu’encourager les
recherches en cours.
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Quant aux fouilles
conjointes des grottes de la Chèvre et de Rochefort,
elles se voient pleinement justifiées par la
proximité des deux sites qui ont été,
selon toute vraisemblance, occupés aux mêmes
époques. Pour la période solutréenne,
c’est-à-dire durant le Pléniglaciaire, nous
aurons ainsi l’occasion de comparer les types
d’activités entre un habitat en grotte et un habitat
en plein air. Par ailleurs, la puissance des
dépôts du talus d’éboulis de la grotte
de la Chèvre est aussi à prendre en compte
puisqu’elle va permettre de réaliser une
séquence stratigraphique sans doute continue pour le
Pléistocène supérieur, voire une partie
du Pléistocène moyen. Ce seront donc
sûrement plusieurs campagnes de fouilles qu’il faudra
consacrer à l’étude de ce gisement au
potentiel prometteur.
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